Les terres rares représentent aujourd’hui un enjeu économique et stratégique majeur pour les pays, étant utilisées à tous les niveaux de la société. La Chine en est de loin le plus gros producteur au monde. Cette position de suprématie lui donne un levier de négociation qui pourrait s’avérer très efficace si la situation ne change pas rapidement.
Bien que la pandémie du covid-19 ait récemment mené à une prise de conscience générale des enjeux de l’approvisionnement en ressources stratégiques, le problème existe depuis bien plus longtemps. Les terres rares sont utilisées dans une grande variété de produits de consommation, tels que les smartphones, les moteurs de voitures électriques, les produits militaires, les avions de chasse, les lasers ou encore les satellites. Souvent utilisées en faible quantité, les terres rares sont indispensables au fonctionnement de ces produits. Leur approvisionnement relève donc d’un enjeu non seulement économique mais aussi de défense nationale et de souveraineté des États.
Les terres rares regroupent 17 éléments chimiques qui ne sont pas forcément rares mais généralement présents en faible concentration dans le sol, nécessitant un traitement et une séparation coûteux et polluants. À ce jour, la Chine a une mainmise sur l’ensemble de la chaîne de valeur de ces minerais, dominant non seulement l’extraction minière mais aussi la séparation et le traitement des différents éléments. En 2019, l’extraction minière chinoise représentait 61.97% de la production mondiale en terres rares, suivie par les États-Unis, le Myanmar et l’Australie avec 12.2%, 10.32% et 9.85% respectivement. Il est estimé que la Chine détient 37% des réserves mondiales là où le Brésil et le Vietnam en auraient environ 18% chacun.
Un outil de négociation économique et politique
En septembre 2010, l’État chinois a suspendu ses exportations de terres rares au Japon pendant deux mois à la suite d’un incident autour des îles Senkaku, gouvernées par le Japon mais revendiquées par la Chine. Cet embargo a menacé l’industrie technologique japonaise dont 80% des approvisionnements dépendaient de la Chine. Après l’incident, le Japon a tenté de diversifier ses sources, se tournant notamment vers l’Australie et le Vietnam. Le Japon et les États-Unis ont aussi réinvesti dans la mine Mountain Pass en Californie. Cependant, il s’agit de la seule aux États-Unis et la totalité de ces extractions est envoyée en Chine pour leur traitement et raffinage.
En effet, la Chine est non seulement le premier extracteur de terres rares au monde, elle en est aussi devenue le premier consommateur. En plus d’avoir augmenté ses propres productions, cela fait maintenant une dizaine d’années que le pays incite les entreprises étrangères à relocaliser leurs usines de traitement des minéraux en Chine. Cette incitation se traduit notamment par des quotas et taxes élevées à l’exportation des terres rares chinoises, rendant bien plus coûteux la production à l’étranger.
En 2012, le Japon, l’Europe et les États-Unis ont porté plainte contre la Chine à l’OMC, demandant une augmentation de ses quotas d’exportations. Le vice Premier-ministre Li Keqiang aurait déclaré aux délégués japonais « nous aimerions coopérer : les fabricants japonais devraient déplacer leur opérations de production en Chine ». Bien que l’OMC ait jugé en faveur des plaignants, la Chine applique aujourd’hui encore les tarifs et quotas mentionnés précédemment.
Cette intégration de la chaîne de valeur est le résultat d’un travail sur plusieurs décennies de la part du gouvernement chinois. Dès 1987, Deng Xiaoping avait identifié l’enjeu des minerais, déclarant en janvier 1992 : « Le Moyen-Orient a son pétrole, la Chine a ses terres rares ».
Comment mitiger ou gérer le risque ?
Loin d’être inactifs, les États et les entreprises cherchent des solutions afin de remédier au risque qui plane constamment au-dessus de leur tête. Le défi principal que doivent relever les entreprises est le coût de production bien moins élevé en Chine. Celui-ci est notamment déterminé par la proximité entre les mines et les usines de traitement, l’absence de tarifs douaniers ou de limite de quotas sur le territoire chinois, ainsi que la main d’œuvre peu chère, qu’il s’agisse des ouvriers ou des ingénieurs de formations supérieures.
L’acquisition de nouvelles sources de terres rares est la piste la plus directe. Hormis l’ouverture et le développement de mines telles que Mountain Pass, le Japon tente de développer des moyens rentables d’exploiter les minerais présents dans les fonds marins autour de l’archipel. Cependant, bien que les minerais s’y trouvent en plus forte concentration que sur terre en raison de l’activité volcanique, leur extraction est actuellement trop onéreuse pour faire concurrence à la production chinoise. Certains se penchent vers l’exploitation minière spatiale, bien que les limitations techniques et budgétaires soient ici encore plus prononcées.
L’intervention des États est aussi à considérer. Au Japon, les sources non-chinoises représentent 60% des dépenses en terres rares du pays, comparé à 20% en 2010. Cette augmentation a été en partie possible grâce au soutien du gouvernement. Sans cette intervention, les entreprises peinent à trouver des financements non chinois pour leurs nouveaux projets de développement. À court-terme, le développement de stocks de terres rares permettrait d’améliorer la résilience des entreprises et des gouvernements face au risque d’un embargo chinois.
La piste du recyclage est quant à elle encore limitée. Les composants faits à partir de terres rares sont souvent de petites tailles et en faible quantité dans les produits. Par exemple, un iPhone 6 ne contient que 0,24g de terres rares. Leur extraction est ainsi difficile et le rendement encore faible. Dans la même optique, des recherches sont menées afin de réduire le pourcentage de terres rares dans les produits tout en préservant leur efficacité.
Une bataille sur le long terme
Les terres rares représentent aujourd’hui un enjeu majeur pour la souveraineté des pays et la résilience de leurs économies. À ce jour, les alternatives ne semblent pas suffire pour faire face à la domination chinoise. Les entreprises ont des moyens limités pour réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine si elles souhaitent rester compétitives sur le marché mondial. Il faudra vraisemblablement une ou plusieurs décennies avant que les projets en cours ne donnent des résultats suffisants. Cela nécessitera cependant une vision suffisamment durable sur le long terme.
Bastien Bourges, pour le club Risques de l’AEGE