Le marché de la sécurité privée en France : bilan et perspectives

Protéger les citoyens, surveiller les infrastructures et sites sensibles, lutter contre la menace terroriste… Autant de missions qui étaient initialement l’apanage de la police et de la gendarmerie, formant les forces de sécurité publique. Ce monopole est aujourd’hui largement dépassé avec la croissance fulgurante de forces de sécurité privée, notamment au lendemain des attentats de 2015, allant jusqu’à leur intégration progressive dans l’écosystème global de la sécurité. De même, les entreprises, attentives à la pluralité des risques pouvant les toucher, liés à la santé, au feu, aux risques d’agressions ou d’attentats, font de plus en plus appel aux sociétés de sécurité privée. Selon le groupement des entreprises de sécurité (GES), le secteur totalise 12 000 entreprises en 2019 avec en tout près de 185 000 salariés et 8 milliards d’euro de chiffres d’affaires, en faisant ainsi un acteur non négligeable.

Devant un tel progrès, quelle place pour la sécurité privée en France ?

Ayant su s’adapter aux nouvelles menaces et semblant jouir d’une bonne dynamique favorisant leur ascension, le volet privé de la sécurité semble faire face à des difficultés aussi bien inhérentes qu’indépendantes. En plein essor, dû aux besoins futurs dont les événements sportifs à couvrir, la sécurité privée pâtît pourtant d’un manque de reconnaissance et d’attractivité. Pour comprendre les différentes problématiques attenantes, il nous a apparu essentiel d’interroger une dizaine d’entreprises du secteur, de toute taille et tout secteur d’activité, afin d’avoir un éclairage pratique et concret sur le sujet.

 

La sécurité privée : indispensable à l’écosystème de la sécurité, mais confrontée à des aléa

Des audits de sécurité, aux accompagnements des entreprises ou institutionnels en zone de crise, en passant par la surveillance, le gardiennage ou encore la sécurité rapprochée ; un large panel de prestations est représenté par l’ensemble des entreprises que nous avons interrogées, qu’elles soient ici remerciées pour leurs contributions. Cela est représentatif de la pluralité de missions que la branche privée de la sécurité est amenée à réaliser, de même que l’élargissement de son domaine d’activité. Pourtant, cette croissance est couplée d’un sentiment de négligence et un manque de moyens certain, humains, techniques ou encore financiers.

 

Des problématiques de recrutement et de concurrence

Le recrutement de profils adéquats pour les sociétés interrogés est un vrai challenge, notamment concernant les agents de sécurité. En effet, le manque d’attractivité de la profession se fait ressentir, avec un critère du coût horaire qui s’estime au détriment de la qualité du service, laissant peu de marge pour investir dans les moyens organisationnels, techniques, humains et à la fois pouvoir proposer une rémunération attractive. De plus, la pénibilité physique et morale des missions proposées, couplée aux risques attenants à la profession telles que les attaques et le terrorisme, font du métier d’agent un métier peu attirant. Concernant le recrutement des entreprises proposant des prestations cyber, elles font part d’un manque en ingénieurs cyber et autres experts techniques, mais le secteur reste très prometteur. En-dehors des difficultés liées aux missions, les entreprises se veulent exigeantes sur les qualités requises. Connaissances techniques, aisance relationnelle, savoir être et maîtrise de l’environnement global de la sécurité sont de mise pour prétendre intégrer les équipes d’une entreprise.

Dans la même perspective, le recrutement des agents de sécurité peine à atteindre sa vitesse de croisière, de par les nombreuses entreprises proposant des prestations de sécurité. Peu importe leur domaine d’activité, l’intégralité des entreprises que nous avons interrogées avancent la forte concurrence avec laquelle elles doivent composer au quotidien. En effet, les entreprises se multiplient, et chacune estime proposer des expertises particulières adaptées aux clients pour répondre à leur besoin spécifique. Certaines d’entre elles cherchent ainsi à se diversifier afin de ne pas manquer des opportunités dans un milieu très concurrentiel. Les problématiques de recrutement et de concurrence contrebalancent l’espoir mis dans une nouvelle gouvernance de la sécurité.

 

L’impact économique de la pandémie COVID

Inattendue et véritable crise internationale, l’épidémie de Covid-19 a bouleversé le quotidien de nombreuses filières et celle de la sûreté/sécurité est loin d’y avoir échappé. Selon le GES, la réduction d’activité en mars 2020 s’évaluait au minimum à 20%, avec une accentuation pour les petites entreprises, plus durement touchées.

La baisse d’activité a principalement concerné les opérationnels ayant des activités de terrain, pour des raisons évidentes que sont le confinement et ainsi la réduction des flux des personnes avec la fermeture des commerces, des lieux de cultures et des événements et la suppression des voyages d’affaires. La nécessité d’avoir un nombre important de personnel mobilisé sur le terrain a donc fortement réduit, avec une baisse considérable de 75% des activités de surveillance humaine pour l’une des entreprises ayant répondu à notre questionnaire. De ce fait, les recrutements d’opérationnels ont, eux aussi, été impacté de manière négative, principalement due à la baisse d’activé et de l’incertitude de la situation sur le court et moyen terme.

Les entreprises ayant des activités cyber ou pouvant être pratiquées à distance ont été moins impactées et certaines entreprises consultées ont même connu une augmentation de leur activité sur leurs segments, la pandémie représentant parfois une opportunité. Avec un début de normalisation de la situation en mai 2021 et l’arrivée du passe sanitaire, l’activité des opérationnels a repris avec notamment deux nouvelles activités, le contrôle du passe sanitaire et la vérification de l’application des règles sanitaires par les usagers. L’obligation controversée du passe vaccinal a contribué à une nouvelle baisse des recrutements. Les restrictions liées au COVID semblant derrière nous depuis peu, c’est un nouvel élan qui est donné aux entreprises.

 

Les perspectives du marché de la sécurité privé

De par l’évolution des menaces protéiformes, le monde de la sécurité fait face à des défis, tant à travers le prisme humain, matériel ou encore de par les relations entre acteurs de la sécurité. Avec une croissance qui s’est vue de facto réduite pendant la pandémie, le secteur doit régler diverses problématiques, qui sont notamment mises en lumière avec l’arrivée prochaine des JO 2024.

 

Les JO 2024 : quels enjeux pour la sécurité privée ?

Constatant les défaillances sécuritaires de la finale de la Ligue des champions, puis la pénétration d’une jeune militante sur une demi-finale de Roland-Garros, les problèmes d’organisation et de sécurité lors des événements sportifs en France se multiplient. Si certains rejettent la faute sur des circonstances extérieures, de tels événements interrogent sur la capacité à organiser des événements sportifs de grande ampleur tels que les JO 2024, qui ne vont pas avoir lieu dans un seul stade à taille humaine, mais bien dans toute la capitale.

Les entreprises de sécurité que nous avons interrogées sont unanimes : il reste de nombreux défis à relever pour être prêts d’ici 2024. Qu’elles soient directement impliquées ou non, elles avancent un manque de moyens humains et matériels non-négligeable. Et pourtant, que ce soit en matière de sécurité (incendie, fuite de gaz, effondrement…), de sûreté avec les risques d’attentats ou de vol, ou encore les épreuves dans la Seine, les risques sont colossaux et inquiétants.

Néanmoins, les JO 2024 représentent une opportunité pour les entreprises de sécurité. Seulement, si certaines d’entre elles seront mobilisées pour la sécurisation de manifestations ou des infrastructures, d’autres soulignent les tensions auxquelles elles font face avec des difficultés de recrutement liées aux obligations réglementaires d’exercice peu flexibles couplée aux compétences requises et aux rémunérations peu attractives ; quand d’autres évoquent le retard pris par l’Etat et l’absence de volonté publique de donner sens au continuum de sécurité public-privé. Les entreprises ne se bousculent pas malgré le lancement des appels d’offres par le Comité des JO.

Une chose est sûre : cet événement qui attend près de 10 millions de spectateurs, s’annonce inédit et complexe en termes de sécurité des biens et des personnes. Et au vu des ambitions de la France, avec en premier lieu une cérémonie d’ouverture de 12 km partant de Tolbiac jusqu’au Trocadéro, il va falloir mettre des moyens matériels, financiers et juridiques à la hauteur, en espérant que les récents événements ne soient pas symptomatiques des défaillances globales du monde de la sécurité. La Coupe du monde de Rugby en 2023 permettra peut-être de démontrer le contraire et annoncer une réussite pour les JO.

 

Vers un modèle de gouvernance public-privé de la sécurité ?

L’arrivée des JO permet de mettre le doigt sur d’autres problématiques parmi lesquelles celle du continuum public privé. En effet, une question centrale lors de la tenue des JO 2024 va être celle de la coordination entre les divers acteurs de la sécurité. Les entreprises privées géreront la sécurité des lieux et les acteurs publics géreront tout ce qui a trait à la voie publique. La coordination est la condition sine qua non afin d’assurer un bon déroulement des épreuves. Et en la matière, il est difficile de se baser sur les recommandations des précédents JO, trop génériques, à tel point l’événement est inédit. Bien qu’un centre de coordination stratégique va être mis en place pour l’occasion, cela met en lumière la question globale des relations entre le public et le privé. Comme dit précédemment, la sécurité n’est plus l’apanage des acteurs publics.

Plus largement, cela amène à se questionner sur le cadre réglementaire encadrant la sécurité privée et l’externalisation progressive des prestations de sécurité. Depuis la loi de 1995, l’Etat a redéfini sa place dans le processus et la gouvernance de la sécurité, censé amener à une complémentarité avec le privé, reconnu comme concourant « à la sécurité générale » et évoque la nécessité de réglementer le milieu et de le contrôler, touchant au pouvoir régalien. Suite aux attentats de 2001 et au sentiment d’insécurité qui en a découlé, la loi sur la sécurité quotidienne, le versant privé de la sécurité a été affiché comme un allié indispensable et a vu ses compétences élargies. Les lois qui ont suivi sont allées dans le même sens, au vu de l’élargissement des menaces. Malgré cette évolution vers une intégration du milieu privé, les entreprises ne cachent pas leurs mécontentements envers un cadre juridique en vigueur ne favorisant pas le développement de leurs activités.

En outre, bien que la loi sur la sécurité globale de 2021 ait permis de débloquer certains verrous juridiques, aussi limiter la sous-traitance en cascade qui gangrène le marché, les sociétés estiment que leur rôle dans le continuum est encore trop limité. Le sentiment de hiérarchisation entre les services régaliens et les nouveaux acteurs semble proéminent et quasi unanime. La plupart des sociétés interrogées, qui pourtant travaillent avec le secteur public dans le cadre de formations, consulting ou autres contrats de prestations, déplorent un manque de reconnaissance et de confiance. En ce sens, et conscients de la montée en puissance et de la nécessité de la sécurité privée, le rapport de la mission parlementaire « d’un continuum de sécurité vers une sécurité globale » des députés Alice Thourot et Jean Michel Fauvergue, entend redonner de la crédibilité au monde privée de la sécurité. Ce rapport a donné lieu à la rédaction d’un Livre Blanc sur la sécurité intérieure, renforçant le continuum et les compétences du privé, mais la véracité et l’aspect concret reste encore à démontrer. Le chemin à parcourir est long mais plein d’espoir afin de parvenir à un nouveau modèle équilibré de la gouvernance de la sécurité.

 

Cyber et nouvelles technologies : au service de la sécurité ?

Les JO recouvrent aussi une grande problématique cyber due à la dépendance croissante aux outils numériques. Les réseaux constituent une menace réelle, mais la sécurité des épreuves ne sera par exemple pas compromise par le piratage du site des JO. L’enjeu des drones est lui complexe, car le risque pèse sur l’organisateur. Un drone peut être mortel s’il tombe sur une personne et l’utilisation de ces technologies en milieu urbain s’avère inapproprié et dangereux. De même, contrairement aux précédents JO de Tokyo, ayant employé une large gamme de gadgets technologiques dont notamment la reconnaissance faciale, certains types de pratiques sont source de clivage dans l’Hexagone.  La France devra ainsi trouver un juste équilibre. L’aspect cyber et celui des nouvelles technologies font donc partie du panel d’éléments à prendre en considération pour assurer le bon déroulement des JO du point de vue sécuritaire.

Plus largement, la cyber sécurité fait partie intégrante du monde de la sécurité et personne n’y échappe. Il apparait évident pour les entreprises contactées de développer une stratégie cyber et sûreté transversale, ainsi un continuum cyber-sûreté, car l’un comme l’autre doit être pensé de manière complémentaire, étant source de multiples risques pouvant affecter une entreprise. Bien que le volet cyber ne doit pas être sous-évalué, son développement n’est pas unanime pour tous et peu systématique. Certaines des entreprises souhaitent ou l’ont déjà intégré dans le cadre de prestations de conseil et dans le recrutement, tandis que d'autres se montrent encore réticent à l’idée de rajouter cette spécificité.

En outre, au-delà des événements sportifs, les nouvelles technologies sont au centre du développement des entreprises de sécurité et les nouveaux moyens mis à disposition ont permis de réaménager le secteur. Les entreprises interrogées affirment toutes que le progrès technologique leur permet d’améliorer de façon pérenne leurs activités, couplé au fait que les besoins de sécurité ne cessent de croître en France. Certaines technologies leur permettent de diversifier leurs activités et se démarquer des autres entreprises. L’intelligence artificielle, ou encore l’usage des drones sont de véritables tendances technologiques qui permettent de dynamiser le secteur et rester compétitif. Ces nouvelles solutions innovantes ont obligé les entreprises à faire preuve d’adaptation. Devenant aussi plus accessible, leurs coûts d’utilisation et d’accès permettent aux entreprises d’en acquérir et ainsi contribuer à l’amélioration des diverses activités de sécurité/sûreté/cyber et d’obtenir des gains opérationnels sur le terrain avec un impact sociétal positif.

L’humain reste tout de même au cœur du processus décisionnel, mais le tandem humain-technologie permet d’améliorer les prestations, de gagner en productivité et de rester un acteur compétitif face à la concurrence.

 

Bien que le secteur privé de la sécurité soit en proie à des difficultés attenantes aux métiers ou aux missions proposées, des aléas liés à la pandémie COVID ou encore des interrogations quant au bon modèle de gouvernance à adopter, les récentes évolutions se montrent favorables à son développement et à sa reconnaissance. Les challenges résultants de l’arrivée prochaine des JO à Paris doivent être le vecteur d’une dynamique propice à la prise de conscience de certaines défaillances et leurs améliorations nécessaires. Ainsi, la sécurité privée pourra réellement prétendre faire partie d’un nouveau modèle de gouvernance de la sécurité déjà initié.

 

Simon Caralou, Florian Brun, Juliens Desmenois, Louis Bahezre de Lanlay, sous la coordination de Clémentine Lhomme pour le Club Sûreté de l'AEGE

Parmi nos contributeurs, nous tenons à remercier le réseau ADESS pour sa participation

 

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