En communiquant le 6 décembre 2021 sur le lancement du projet Maia Space développé par Ariane Groupe, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire ne se limite pas à un effet d’annonce. Il remet en question l’ensemble de la stratégie spatiale européenne développée depuis 2014.
Lors de sa visite du site d’Ariane Group à Vernon le 6 décembre, Bruno Le Maire a renouvelé l’engagement pris par le gouvernement d’investir dans le spatial à hauteur de 1,5 milliard d’euros. De plus, il a annoncé la mise en service à l’horizon 2026 d’un lanceur réutilisable, Maia Space. L'objectif est clair: rattraper le retard accumulé par les Européens face aux initiatives privées telle SpaceX.
En effet, depuis l’arrêt du programme Challenger en 2011, les États-Unis se trouvaient dépendants des lanceurs russes Soyouz. Ils se sont donc lancés dès les années 2010 dans un programme devant intégrer le secteur privé dans le domaine spatial, jusqu’alors réservé aux États. En plus de permettre aux États-Unis de regagner la capacité d’envoyer des hommes dans l’espace, ces nouveaux acteurs stimulent l’innovation, développent un écosystème d’entreprises privées dans le secteur et réduisent considérablement les coûts d’envoi de charges utiles dans l’espace.
Répondant à des appels d’offres de la NASA (et non plus à des subventions), de nombreuses entreprises américaines ont ainsi vu le jour à partir des années 2000 comme Blue Origin, Virgin Galactic, ou SpaceX, qui souligne la justesse de l’analyse américaine, pariant sur une démocratisation des satellites et des lanceurs réutilisables.
Lors de son allocution, Bruno Le Maire a reproché au secteur spatial européen son caractère institutionnel, plus tourné vers la recherche que vers des applications industrielles et commerciales. Il souhaite ajouter des logiques de compétitivité, de concurrence et d’économie d’échelle, à l’image de la stratégie américaine, où le secteur privé joue un rôle central. Il y a nécessité de dynamiser le secteur en intensifiant la concurrence entre les grands groupes du secteur comme ArianeGroup, et les PME et start-up (comme Venture Orbital Systems ou Strato Space Systems en France).
Enfin, à l’image des Américains il y a 10 ans, c’est la logique des financements de l’ESA qui va être transformée en profondeur. Alors que les acteurs traditionnels utilisaient des subventions venant des institutions pour répondre à un cahier des charges défini en amont, la logique sera inversée. Les entreprises du secteur devront répondre à un appel d'offres dont les finalités, mais pas les moyens, sont définis par l’ESA. Cette stratégie favorise dès lors la concurrence entre les acteurs et encourage l’innovation.
Tandis que le modèle économique de SpaceX semble être une réussite, notamment grâce au soutien de la NASA et du nombre de lancements américains (qui représentent 61 % du total des lancements en 2020), on peut s’interroger sur le virage pris par Bruno Le Maire : au regard des volumes plus faibles de lancements des pays de l’Union européenne d’un côté, et de l’absence de politique préférentielle de l’Union européenne de l’autre, est-ce qu’une transposition de la stratégie américaine est réellement judicieuse ?
Enfin, cette stratégie qui éparpille les projets et donc les financements est-elle pertinente ? Ariane VI restant la priorité pour l’ESA, on remarque l’absence de concertation avec les autres pays membres et plus largement l’absence de politique coordonnée dans ce secteur avec les différents pays.
Arnaud Sers
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