Alain Juillet et Jean-François Dimeglio discutent, dans cet épisode d’Openbox TV, du futur de la Chine. Le scénario à venir le plus probable est celui de la stabilité totale du pouvoir de Xi Jinping, même s’il n’est pas à exclure qu’il soit contraint d’associer plus étroitement les membres du Politburo à l’exercice du pouvoir. Un renversement de Xi est improbable, tout comme la maîtrise de la Chine, à brève échéance, des dernières technologies en matière de semi-conducteurs, ce qui tend à réduire les risques de guerre à Taiwan pour le moment.
Alors que Pékin a, pendant longtemps, ignoré les signaux d’exaspération de la société civile et pressurisé cette dernière pour que le XXème Congrès du Parti communiste chinois (PCC) se passe sans accroche, le PCC a soudainement changé de cap en arrêtant brusquement la politique du zéro Covid. Selon Jean-François Dimeglio, président du think tank Asia Centre et ancien responsable du secteur énergie et matières premières en Chine pour BNP Paribas, cette décision s’explique car le degré de saturation maximum de la population a été atteint. Le confinement du pays, à intervalle régulier, depuis le début de la crise de la Covid 19, a mis à mal la chaîne de production chinoise qui est au bord de l’effondrement. Les conséquences économiques et sociétales résultant de la politique du zéro Covid ont également suscité de vifs problèmes sociaux. En dépit d’un ancrage toujours plus profond de Xi Jinping dans la tradition chinoise et dans l’idéologie marxiste, le PCC fait aujourd’hui face à une accentuation des mouvements de protestation. L’autonomie de pensée d’une partie de la population ne cesse de gagner du terrain, fait remarquer Dimeglio, alors que l’unanimité ne prévaut plus.
Cette situation amène l’invité d’Alain juillet à considérer trois scénarii possibles vis-à-vis de la direction que pourrait suivre la Chine. Le premier scénario, central, est le maintien d’une stabilité totale où le Politburo et le Bureau politique suivraient les impulsions de Xi sans les contester. Aux antipodes du premier scénario, le deuxième verrait un retournement de la situation contre Xi. A cause de la gestion erratique du Covid, de frustrations liées au verrouillage du pouvoir, du ralentissement économique et de mauvaises relations avec certains partenaires internationaux de la Chine, des membres du Politburo pourraient être tentés de « renverser la table », selon les mots de Dimeglio. Entre le premier et le deuxième scénario s’en situe un intermédiaire, à savoir une moindre concentration du pouvoir dans les mains de Xi à la faveur d’un plus grand partage des responsabilités entre les 7 membres du Politburo.
Indépendamment de la morphologie du pouvoir politique chinois, un des objectifs centraux de celui-ci est d’augmenter la consommation des Chinois pour susciter de la croissance interne. La Chine aimerait réduire la part des exportations, dans son taux de croissance, et dynamiser celui de la consommation. Il s’agit du modèle de « double circulation », explique Dimeglio. Il est vrai que la politique du zéro Covid a été un obstacle à la réalisation de cet objectif. Cependant, le commerce international est indissociable de la richesse chinoise. L’absence d’un système de protection sociale inhibe considérablement la consommation des ménages chinois, notamment des plus âgés, qui préfèrent épargner. Ainsi, les exportations demeurent le moteur de la croissance économique dont le rééquilibrage est très complexe.
C’est pourquoi la Chine ne néglige pas le libre-échange comme en atteste l’entrée en vigueur du plus grand accord mondial de commerce (Regional Comprehensive Economic Partnership) l’année dernière. Il permet à la Chine d’assurer ses arrières et de se prémunir d’une baisse potentielle de ses exportations en Occident, si la guerre à Taiwan éclatait. On sait, à ce sujet, que les Américains organisent activement leur autonomie technologique dans le domaine des semi-conducteurs, en forçant TSMC à créer des entreprises sur le sol américain, pour ne pas subir de plein fouet un arrêt abrupt des exportations du géant taiwanais.
Quant à Pékin, il veut également mettre la main sur les technologies de pointe en matière de semi-conducteurs. Or, pour le moment, les investissements chinois ne permettent pas au pays d’être autonome, car il faut du temps pour produire en masse des puces fonctionnelles de dernier cri. Il en résulte que le PCC doit gagner du temps et éviter les conflits pour monter en gamme. Attaquer Taiwan, à court ou moyen termes, contredirait cet objectif. D’autant que les nationalistes taiwanais, héritiers du Kouo-Min-Tang, montent en puissance : les 4 principales villes de Taiwan sont passés dans le camp nationaliste, favorable aux discussions avec la Chine.
En revanche, si guerre il devait y avoir, la question de savoir si les États-Unis combattraient la Chine demeure intacte, particulièrement si l’Oncle Sam parvient à sécuriser, sur son territoire, les technologies de pointe de l’entreprise TSMC. Les relations sécuritaires américano-taiwanaises sont régies, depuis 1979 et le Taiwan Relations Act, par la politique d’ambiguïté stratégique. Cette dernière implique de maintenir un positionnement volontairement ambigu relatif à une intervention américaine en cas de guerre dans le détroit de Taiwan. Néanmoins, l’administration Biden a récemment déclaré que les États-Unis interviendraient militairement si Taiwan devait être attaqué. Nous sommes désormais dans une ambiguïté stratégique au carré, selon la formule de Dimeglio, en ce sens que nous ne savons pas si les États-Unis interviendraient militairement en cas de conflit, ni même si la politique d’ambiguïté stratégique tient toujours.
Ce qui est certain, dans tous les cas, c’est l’importance de Taiwan. Qu’il s’agisse de son rôle dans la stabilité économique mondiale ou de sa position géographique éminemment stratégique, l’ancienne Formose est au cœur de la compétition sino-américaine. Taiwan est un maillon essentiel de la première chaîne d’îles qui empêche l’accès de la Chine aux eaux bleues d’où l’on peut faire partir, notamment, des sous-marins plus discrètement. In fine, l’intérêt des États-Unis, dans la défense de Taiwan, dépasse de loin les seules considérations économiques et technologiques, aussi importantes soient-elles, pour concerner aussi la capacité de l’Oncle Sam à contenir la Chine et à dominer militairement l’Asie Pacifique.
Rémy Carugati
Retrouver ici l’intégralité de cet épisode d’OpenBox TV avec Alain Juillet et Jean-François Dimeglio.
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